Philippe Kenel

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Convention franco-suisse : quelle solution ?

Dans mes blogs de l’été, j’ai développé un certain nombre de raisons pour lesquelles le fait que le Conseil fédéral signe avec la France le 11 juillet 2013 la Convention en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions (ci-après : Convention 2013) était une erreur à la fois fiscale, politique et stratégique.

D’aucuns me diront qu’il est facile de proposer aux membres de l’Assemblée fédérale de ne pas l’approuver sans proposer une solution alternative.

La solution idéale serait évidemment de conserver la Convention conclue le 31 décembre 1953 actuellement en vigueur (ci-après : Convention 1953). Cependant, je suis conscient du fait que tel n’est pas le vœu de la France et que si la Suisse ne propose pas une autre solution, la France résiliera la cette convention avant le 30 juin 2014 pour le 31 décembre 2014. J’insiste sur le fait qu’il serait néanmoins préférable qu’il n’y ait aucune convention du tout plutôt que la Convention 2013 soit approuvée.

Pour éviter une confrontation directe avec notre voisin, je propose que nos autorités adoptent une position s’articulant sur deux axes qui peut être résumée de la manière suivante.

Tout d’abord, la renégociation de la Convention 1953 doit faire partie de la négociation globale qui s’ouvrira entre nos deux pays. Il est exclu que la Suisse, à titre de ticket d’entrée, accepte une nouvelle convention en matière d’impôts sur les successions. Je suis conscient que la Suisse devra céder sur certains points, mais cela devra faire partie d’un accord global.

En second lieu, il est fondamental d’avoir à l’esprit que lorsque la France a introduit l’article 750 ter 3° du Code général des impôts en 1999 instaurant le système de l’imposition, non seulement au domicile du défunt, mais également à celui de l’héritier, le but était (déjà !) de lutter contre l’exil des grandes fortunes qui quittaient la France pour prendre domicile à l’étranger. Espérant que les enfants de personnes fortunées resteraient en France, le but était de pouvoir imposer les successions même si les parents fortunés s’étaient délocalisés. Or, ce qui est particulièrement choquant dans la philosophie de la Convention 2013 est qu’elle reprend, quasiment à la lettre, le contenu du droit interne français et sanctionne, en imposant leurs héritiers domiciliés en France, non seulement les personnes fortunées qui ont quitté la France, mais également toutes les personnes françaises, suisses ou étrangères qui décèdent en Suisse en y étant domiciliées, alors qu’elles n’ont peut-être jamais elles-mêmes été domiciliées en France et dont la fortune n’a aucun rapport avec ce pays. Par conséquent, la Suisse accepte de soumettre à l’impôt français sur les successions des patrimoines qui n’ont en réalité aucun rattachement avec la France outre le fait qu’un héritier y est domicilié depuis quelques années. Par ailleurs, les auteurs du Commentaire du Modèle de convention OCDE de 1982 précisent que le droit subsidiaire pour un Etat d’imposer une succession au domicile du défunt devrait être limité dans le temps et que ce délai devrait être au maximum de dix ans.

Vu ce qui précède, je propose que la Suisse renégocie avec la France la Convention 2013 en restreignant le droit de la France à taxer les héritiers domiciliés en France à la triple condition suivante. D’une part, pour que la France ait un droit subsidiaire d’imposer la succession au domicile de l’héritier, le défunt domicilié en Suisse devrait avoir été domicilié en France dix ans au cours des vingt dernières années. En second lieu, l’héritier devrait avoir été domicilié en France six ou huit ans au cours des dix dernières années. Enfin, le droit subsidiaire d’imposer l’héritier prendrait fin dix ans après le départ du défunt de France.

Cette solution aurait le mérite de souscrire au vœu français d’éviter que des personnes fortunées quittent la France afin d’éviter l’impôt sur les successions. Néanmoins, elle limiterait ce droit subsidiaire à dix ans conformément au vœu de l’OCDE. De plus, elle exclurait du champ d’application d’imposition, sans se référer à une question de nationalité, la succession des Suisses domiciliés en Suisse n’ayant pas été domiciliés en France durant dix ans au cours des vingt dernières années ou qui l’ont quitté depuis plus de dix ans.

Par ailleurs, la clause anti-abus figurant à l’article 10 de la convention est plus stricte à la fois que le droit interne français et que les autres conventions de double imposition en matière de successions signées par la France. En effet, l’article 10 de la Convention 2013 sanctionne les personnes dont « l’objectif principal » était d’obtenir une position plus avantageuse, alors que le droit interne français ainsi que les autres conventions de double imposition en matière de successions signées par la France sanctionnent uniquement celles dont « l’objectif exclusif » était d’obtenir une position fiscale plus avantageuse. Par conséquent, l’expression « objectif principal » devrait être remplacée par celle « objectif exclusif ». En effet, autant sanctionner des personnes dont l’objectif exclusif est de contourner une convention est normal, autant prendre en considération « l’objectif principal » crée une grande insécurité juridique et ouvrirait la voie à toutes les formes d’interprétations et de dérives de la part de l’Administration fiscale française.

Si la France refuse cette proposition dans le cadre d’une négociation globale, il lui appartiendra, alors, d’endosser le mauvais rôle consistant à résilier la Convention 1953, ce qui est peu digne d’un Etat ami. Ce serait également la preuve que son but, en réalité, n’est pas de lutter contre l’exil des Français fortunés, mais de pratiquer une forme d’impérialisme fiscal, ce que la Suisse ne peut pas accepter !

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