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Pour le TF, le forfait n’est pas un privilège

Mis en ligne le 04.11.2014 à 11:49

Philippe Kenel

L’un des arguments récurrents que l’on entend dans la bouche des personnes qui soutiennent l’initiative « Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires (abolition des forfaits fiscaux) » est que l’imposition d’après la dépense est un système injuste et immoral. Ils entendent par là que ce système est contraire au principe de l’égalité et de celui en vertu duquel un contribuable doit payer des impôts en fonction de sa capacité contributive. En d’autres termes, ils estiment que l’impôt d’après la dépense est un privilège.

Or, dans un arrêt du 10 octobre 2006, le Tribunal fédéral a jugé que l’imposition d’après la dépense « ne constitue ni un arrangement fiscal ni un « privilège » ».

La position du Tribunal fédéral est tout à fait justifiée car la situation du forfaitaire est tout à fait particulière dans la mesure où il n’a pas le droit d’exercer une activité lucrative en Suisse. Vu cette exigence, il n’est pas possible d’affirmer qu’il existe une inégalité entre ce type de contribuable et une personne inscrite au rôle ordinaire. Il peut y avoir inégalité uniquement entre deux situations comparables. Or, en l’occurrence, celle d’un forfaitaire n’est pas du tout comparable à celle d’un autre contribuable dans la mesure où l’un peut travailler en Suisse, et l’autre pas.

Il résulte de cette exigence et du principe même de l’imposition d’après la dépense que la capacité contributive d’un forfaitaire en vertu de laquelle il doit être imposé n’est pas la même que celle d’un autre contribuable. Vu qu’en réalité, la seule chose qui est autorisée à un forfaitaire est de dépenser en Suisse, il n’y a rien de plus normal que ce soit sur ses dépenses qu’il soit imposé.

Pour contrer cette argumentation, les partisans de l’initiative tentent de minimiser l’importance de l’exigence de ne pas travailler en Suisse et, sans aucun fondement, affirment que de toute manière, elle n’est ni respectée, ni contrôlée. Ces affirmations démontrent à quel point les personnes qui les propagent ont une totale méconnaissance de la situation. En effet, le fait de ne pas pouvoir travailler en Suisse est très pénalisant pour les forfaitaires, aussi bien sur le plan financier qu’au niveau de la qualité de vie. D’ailleurs, de nombreuses personnes que je rencontre au moment où elles choisissent le pays dans lequel elles souhaitent s’installer optent en fin de compte pour la Belgique ou la Grande-Bretagne dans la mesure où, dans ces Etats, elles peuvent à la fois travailler et bénéficier d’un traitement fiscal favorable. D’ailleurs, le fait de ne pas pouvoir exercer une activité lucrative en Suisse, empêche très souvent, également les forfaitaires de le faire à l’étranger. En effet, le risque est grand que l’Etat dans lequel cette activité est exercée considère qu’en réalité ces personnes y sont domiciliées. Par ailleurs, en pratique, cette exigence est respectée par les contribuables et les autorités cantonales opèrent des contrôles. Il va de soi que si des forfaitaires l’enfreignent, ils doivent être sanctionnés.

Lorsque les partisans de l’initiative ne trouvent plus d’argument pour tenter de démontrer que l’imposition à forfait est immorale, ils tentent, comme le fait Roger Nordmann dans son article paru le 28 octobre 2014 dans Le Temps, de faire passer les forfaitaires pour des gens pratiquant la soustraction fiscale. Or, cette argumentation est d’une malhonnêteté intellectuelle crasse. En effet, autant le fait de placer de l’argent dans un Etat étranger sans l’annoncer dans son Etat de domicile est illicite, autant le fait de déménager pour s’installer dans un autre Etat est licite. En devant avoir recours à de tels procédés, ils avouent la faiblesse de leurs arguments.

Si les initiants sont autant attachés à l’Etat de droit qu’ils le prétendent pour attaquer l’imposition d’après la dépense, ils devraient alors, sans coup férir, accepter le verdict du Tribunal fédéral pour lequel il ne s’agit pas d’un privilège.


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