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Quelles conditions doivent être remplies pour qu’une personne doive et puisse payer ses impôts en Suisse ?

Mis en ligne le 17.01.2014 à 18:41

Philippe Kenel

Ce n’est pas en qualité d’avocat de Johnny Hallyday, qui n’est pas mon client et que je ne connais pas, que je rédige ce blog, mais en tant que spécialiste de l’imposition d’après la dépense. Vu les différentes affirmations erronées qui se disent ou s’écrivent à propos de Johnny Hallyday, mon but est de clarifier la question de savoir quelles sont les conditions qui doivent être satisfaites pour qu’une personne soit imposée de manière illimitée en Suisse.

En guise de préambule, il sied de souligner trois points.

  • Tout d’abord, contrairement à ce que d’aucuns déclarent, la question n’est pas de savoir quelles conditions doit remplir une personne imposée d’après la dépense comme Johnny Hallyday pour pouvoir payer ses impôts en Suisse, mais à partir de quand, une personne a l’obligation de payer ses impôts dans notre pays. En effet, une personne ne décide pas librement où elle veut payer ses impôts, elle les paie où elle le doit.
  • En second lieu, il faut distinguer entre l’assujettissement limité et l’assujettissement illimité. Il y a assujettissement limité lorsqu’une personne paie un impôt dans un pays non pas en raison d’un rattachement personnel, mais d’un lien économique. Tel est par exemple le cas d’une personne payant des impôts liés au fait qu’elle est propriétaire d’un bien immobilier dans un Etat. En revanche, la personne qui est imposée de manière illimitée dans un pays l’est en raison du lien personnel qu’elle entretient avec celui-ci. En Suisse, une personne imposée de manière illimitée paie un impôt sur la fortune et ses revenus à l’exception de certains d’entre eux se trouvant à l’étranger. Le droit suisse connaît un cas particulier d’imposition illimitée appelé imposition d’après la dépense. Seuls les ressortissants étrangers n’exerçant pas d’activité lucrative en Suisse peuvent bénéficier de ce système.
  • Enfin, la question de savoir à partir de quand une personne a l’obligation de payer des impôts de manière illimitée en Suisse se pose dans les mêmes termes pour tous les contribuables, peu importe qu’ils soient ou non au bénéfice de l’imposition d’après la dépense. Cependant, en pratique, seules les personnes domiciliées en Suisse sont imposées d’après la dépense et non pas celles qui effectuent un séjour continu de nonante jours (voir ci-dessous).

En vertu de l’article 3 de la Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID) et de l’article 3 de la Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD), une personne est assujettie de manière illimitée en Suisse dans deux hypothèses:

  • Une personne est assujettie de manière illimitée en Suisse lorsqu’elle y a son domicile.
  • Sous réserve de cas particuliers (domicile légal), le législateur considère qu’une personne est domiciliée en Suisse lorsqu’elle y réside avec l’intention de s’y établir durablement. Il résulte de cette notion de domicile qu’une personne est domiciliée en Suisse si elle y séjourne (condition objective) et a l’intention de s’y établir (condition subjective).

Pour avoir l’intention de s’établir durablement sur le territoire helvétique, il faut, en principe, être au bénéfice d’une autorisation de séjour. Néanmoins, le fait d’être titulaire d’une telle autorisation n’est pas suffisant pour être considéré comme domicilié en Suisse. Contrairement à ce qui a été affirmé dans la presse, le droit fiscal suisse n’exige pas une durée de séjour minimum. La doctrine et la jurisprudence s’attachent plutôt à la notion de centre des intérêts vitaux. Concernant la législation en matière d’immigration, elle n’exige plus pour les ressortissants européens depuis juin 2002, date de l’entrée en vigueur de l’Accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, que le titulaire d’une autorisation de séjour passe plus de six mois en Suisse. En revanche, cette exigence est toujours en vigueur pour les ressortissants non européens.

Si une personne n’est pas domiciliée en Suisse au sens de ce qui est écrit au chiffre 1 ci-dessus, elle peut néanmoins y être imposée de manière illimitée si elle y séjourne, sans interruption notable, pendant trente jours au moins en exerçant une activité lucrative, ou pendant nonante jours au moins si elle n’exerce pas une telle activité.

Il résulte clairement de ce qui précède qu’une personne qui n’est pas domiciliée en Suisse ou qui n’y séjourne pas, sans interruption notable, trente jours si elle y exerce une activité lucrative et nonante jours si tel n’est pas le cas, n’a pas l’obligation de payer des impôts en Suisse. De même, une personne qui ne satisfait pas ces exigences ne peut pas décider de son propre chef de payer des impôts en Suisse. D’ailleurs, l’Administration fédérale des contributions a stipulé expressément dans sa Circulaire n° 9 du 3 décembre 1993 relative à l’imposition d’après la dépense que « la création d’un domicile fictif en Suisse exclut l’imposition d’après la dépense. Il n’est pas admissible non plus d’acquitter volontairement un impôt d’après la dépense sans que les conditions nécessaires ne soient réalisées » (ch. 1.1).

Deux remarques doivent être faites pour conclure.

Tout d’abord, contrairement à ce que certains pourraient penser, il est très difficile, en pratique, d’être imposé dans un pays sans y vivre. En effet, si la personne ne vit pas le pays où elle prétend être domiciliée, les autorités fiscales du pays dans lequel elle vit en réalité l’imposeront dans cet Etat.

En second lieu, si l’Administration fiscale helvétique a connaissance du cas d’une personne se faisant imposer en Suisse, qu’elle soit imposée selon le régime ordinaire, ou selon celui de l’imposition d’après la dépense, alors qu’elle ne remplit pas les conditions pour être imposée de manière illimitée en Suisse, il lui incombe de libérer le contribuable de ses obligations fiscales. Il va de soi, par ailleurs, que les autorités fiscales auront plutôt tendance à contrôler les personnes qui vivent dans un Etat sans y payer d’impôts que celles qui y paient des impôts sans y vivre.


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